Cet article a été publié sur l'Express.fr le samedi 17 février 2024.
Quand Léonard de Vinci roulait des mécaniques
"Machine pour transporter les troupes", maquette conçue d'après les croquis de Léonard de Vinci. / © Jean-Christophe Hubert
Du génie de la Renaissance italienne on connaît surtout la petite vingtaine de peintures qui lui sont attribuées. L’auteur de La Joconde nous a pourtant laissé aussi plus de 6 000 pages de notes et de dessins d’inventions. Ce sont ces codex sur lesquels s’est penché Jean-Christophe Hubert, historien de l’art belge, en 2015, avec une idée inédite en tête : matérialiser une centaine de ces machines imaginées par Léonard de Vinci à une époque où la recherche scientifique était l’égale de tous les arts. Porté par une équipe d’ingénieurs et de menuisiers, le projet a donné naissance à une exposition XXL de maquettes en bois, qui témoignent de l’imagination sans limites déployée par le maître florentin dans tous les domaines : champs de bataille, ingénierie hydraulique et aéronautique, industrie textile, métallurgie, objets de mesure, astrologie… Après Bruges, Istanbul, Lyon ou encore Barcelone, le parcours mêlant science et histoire se déploie à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), dans les murs de fer et de verre de l'Atelier Grognard , une ancienne fabrique de plaques de zinc de la Belle Époque.
"On l’ignore souvent, mais Léonard n’a rien inventé, pas plus le vélo que le parachute : il a imaginé, esquissé, mais pas réalisé", prévient d’emblée Jean-Christophe Hubert. La vis aérienne, par exemple, qui s’appuie sur le principe visionnaire d’aéronef à hélice, n’est pas viable avec la seule énergie de propulsion musculaire humaine et animale disponible dans les années 1480. À la mort de Vinci, en 1519, les carnets qu’il noircit de formules mathématiques et de croquis sont dispersés chez des particuliers et ne sont rendus publics qu’au XIXe siècle, sans jamais avoir en leur temps donné lieu à des constructions. Bien plus que le pinceau, ces codex constituent le gagne-pain quotidien de l’artiste, grâce au soutien de ses mécènes, Ludovic Sforza puis François Ier, qui lui laissent carte blanche pour rêver sur le papier à des machines volantes, à des chars coupeurs de jambes, des ponts coulissants sur roues, des tambours mécaniques, des roulements à billes…
"Régulateur conique", maquette élaborée à partir des carnets de Léonard de Vinci. / © Jean-Christophe Hubert
D’ailleurs, l’opportuniste Léonard exploite volontiers des recherches anciennes pour les développer. Ainsi, l’instrument de mesure, invention de Pline dans ses Histoires naturelles, au Ier siècle, qu’il perfectionne en dessinant un odomètre mesurant la distance parcourue, dont le fonctionnement repose sur la rotation d’une ou deux roues verticales actionnant une roue horizontale. Ou encore le faucheur à lames qui remonte au récit de Plutarque autour d’Alexandre le Grand affrontant les chars à faux de Darius.
Vinci s’en inspire en imaginant une machine qui entraîne en se déplaçant l’engrenage de quatre poutres armées d’un boulet dont la vitesse de rotation permet de faucher les assaillants. Nous pouvons nous-mêmes ici actionner plusieurs de ces mécanismes car une vingtaine de maquettes sont manipulables par le visiteur. De quoi expliquer, sans doute, le succès remporté par l’exposition auprès des familles.
Sans avoir suivi la moindre formation, le rejeton illégitime d’une paysanne et d’un notaire toscan de Vinci a pour premier atout son avidité de connaissances. "Il possédait la plus grande bibliothèque connue de l’époque, aucun livre imprimé ne lui échappait", pointe le commissaire. Toutes les recherches de Léonard de Vinci s’articulent sur le même processus : observer puis, dans un second temps, comprendre. "Plus on connaît, plus on aime", gribouille-t-il dans ses carnets, résumant par cette confession son inlassable curiosité et sa soif de découvertes.
Par Letizia Dannery