Article issu de "lefigaro.fr" publié le 8 mai 2022, par , sur l'exposition Duography de Lek & Sowat. Voir l'article sur lefigaro.fr.

Pour Lek et Sowat, le street art s'écrit à plusieurs

À l'atelier Grognard, à Rueil-Malmaison, la première rétrospective des graffeurs issus du graffiti et de l'urbex retrace leur parcours hors du commun. « Ici, c'est un de nos petits chouchous de l'exposition. C'est un extincteur qu'on a utilisé au Palais de Tokyo. On s'est dit que ce serait parfait de montrer un extincteur trivial, comme ça, sur sa petite stèle avec son système d'alarme» , s'amuse Sowat. Cet objet de l'exposition «Duography» résume à lui seul la démarche du duo Lek et Sowat: s'insérer dans des lieux inattendus, tout en y détournant les codes. La présence de ces deux autodidactes de l'urbex (exploration urbaine) à l'Atelier Grognard de Rueil-Malmaison a de quoi attiser la curiosité. «Nous avons déjà fait d'autres expositions, mais c'est notre première rétrospective» , rappelle Sowat en ajustant sa casquette. Une démarche inconnue pour les artistes. «C'était loin de notre zone de confort. On est habitués à aller tout droit sans regarder en arrière» , admet Sowat, alias Mathieu Kendrick.

Leur carrière débute il y a une dizaine d'années. «On s'est rencontrés en 2010, lors d'une exposition collective. J'étais très impressionné de faire la connaissance de Lek parce que c'est un grand nom de l'urbex» , raconte Sowat. C'est le coup de foudre artistique. Les deux Français issus du graffiti commencent à travailler ensemble et ne se lâchent plus. La même année, ils réalisent leur première oeuvre de grande envergure,
déjà en contradiction avec les codes du monde du graffiti. «Fred avait repéré un centre commercial abandonné dans le nord de Paris. On s'y est enfermés et on a fait venir une vingtaine d'artistes du graffiti français pour peindre des compositions à plusieurs» , raconte Sowat, désignant les photos, lettres et objets qui témoignent de cette oeuvre.
«C'est un peu contre-intuitif à l'idée de graffiti, parce que le nom devient obsolète et ce qui compte, ce sont les compositions graphiques» , ajoute Mathieu Kendrick. Cet ancien supermarché de 40 000 m devient le Mausolée, un espace de vie rempli d'oeuvres d'art désormais vandalisées par d'autres graffitis.

Détourner les cartels

En 2019, Lek et Sowat intègrent directement à leur oeuvre sa possible destruction par vandalisme. Invités par le Centre Pompidou, ils exposent sur des palissades anti-graffitis J'aurais voulu être un artiste . L'objectif est de détourner les cartels de musée, les informations techniques de leur installation sont étalées sur une longueur de 180 mètres. Dans ce lieu de Paris propice aux graffitis, de nouvelles écritures s'ajoutent à la composition originale. «Toute l'idée de l'oeuvre, c'est son vandalisme, cette accumulation d'écriture» , affirme Sowat, posté devant douze des 132 plaques récupérées par les artistes.

«Un des clichés qu'on nous renvoie souvent, c'est que le graffiti, c'est dans la rue et éphémère. Nous, on s'est échinés à prouver le contraire pendant nos deux ans au Palais de Tokyo» , rappelle Sowat. Après le Mausolée, le duo est invité au Palais de Tokyo en 2014 pour travailler avec le poète John Giorno. Lek et Sowat en profitent pour créer la vidéo Tracés directs, qui intègre les collections du Centre Pompidou, une première pour des graffeurs. Malgré cette reconnaissance par une grande institution, le duo n'oublie pas le côté subversif du graffiti. «Notre expo, c'était un cheval de Troie. C'était le prétexte pour passer du temps dans le palais. Mais à côté, on a fait entrer plein d'artistes pour faire des choses cachées, éphémères, fragiles, en dehors de la zone qui nous était allouée.»

Surprise à la Villa Médicis

Autre espace où ils n'étaient pas attendus: la Villa Médicis. En 2015, Lek et Sowat intègrent la prestigieuse Académie de France à Rome. Comme d'habitude, les graffeurs y vont au culot. Alors qu'ils sont dans le salon du directeur, un soir, à minuit, ils demandent simplement: «Pourquoi est-ce que vous ne nous prendriez pas à la villa Médicis?» Cette requête osée ne les dispense pas de passer le concours d'entrée, qu'ils réussissent. Et c'est aussi au détour d'une conversation que Lek et Sowat ont l'opportunité de peindre un tunnelier, gigantesque machine qui creuse les tunnels pour le métro. En peignant l'extrémité de l'appareil qui viendra se fracasser contre le mur, les artistes créent une oeuvre vouée à s'autodétruire. Une composition éphémère, sauvegardée pour cette rétrospective.

«Lek & Sowat Duography», à l'atelier Grognard à Rueil-Malmaison (92), jusqu'au 3 juillet.

Plus d'informations sur l'exposition ici.