En attendant la réouverture des musées, voici une courte vidéo présentant l'exposition.

L'exposition « Janine Charrat, le corps et l’âme » met en lumière le fonds 3J, présent aux Archives communales de Rueil- Malmaison. Il s'agit des archives personnelles et inédites de Janine Charrat, ballerine classique et chorégraphe du XXe siècle, données à la ville peu avant sa mort le mardi 29 août 2017 à l’âge de 93 ans.
Citoyenne de Rueil-Malmaison depuis le milieu des années 1980, elle a reçu un hommage de la Ville en novembre 1990 lors d'une soirée au cours de laquelle l'une de ses chorégraphies majeures, Adame Miroir, avait été remontée, puis une première exposition lui a été consacrée en 2017 au musée d'Histoire locale.

Une nouvelle exposition lui est consacrée à partir du 17 août 2020.

VIE PRIVÉE, VIE DE DANSEUSE
« Un rythme obsédant, venu d’Afrique ou de Polynésie... une fille à peine adolescente, danse... danse... Est-ce déjà une danseuse ? Pas encore, mais elle possède un rythme et surtout une âme. C’est cela l’essentiel, car la danse de l’âme est singulièrement plus grave que celle du corps, puisque, tôt
ou tard, l’âme s’impose aux muscles et crée le danseur. » Serge Lifar
Star populaire, femme meurtrie rescapée des flammes, la vie de Janine Charrat est un roman mêlé de passions et de malchances. Découverte à 12 ans par Serge Lifar, danseur et chorégraphe, pour jouer dans La mort du Cygne de Jean- Benoît Levy (1937), elle interprète Rose Souris, un petit rat de
l’Opéra. Elle vit un véritable conte de fée, devenant vedette de cinéma. On la surnomme « le petit Mozart de la danse ». Elle est formée à la danse orientale par Jeanne Ronsay, puis est l’élève de Lioubov Egorova, danseuse étoile russe. Serge Lifar deviendra son plus bel amour et son maître à penser.
Elle entretient avec lui une relation de deux ans et danse ses ballets à Monte-Carlo. Sa rencontre en 1941 avec Roland Petit,
aux Ballets des Champs-Élysées, est décisive. Ils réalisent et interprètent de courts ballets grâce auxquels elle fait son apprentissage de chorégraphe. Ils seront « les enfants chéris de Paris ». Le 18 décembre 1961, sa carrière bascule. Pendant l’enregistrement du ballet Les Algues, son costume prend feu. Elle est brûlée à 70 %. Après 18 mois d’opérations et de greffes, un entrainement intensif lui permet de remonter
sur scène. Les journalistes sont impressionnés par « cette âme indomptable » qui « s’est lentement refaite un corps ». Janine Charrat a reçu des hommages tout au long de son parcours (Commandeur de la Légion d’Honneur en 1999). En 1986, la Cinémathèque de Paris organise une rétrospective
de son oeuvre. Elle termine sa carrière comme directrice du Département Danse au Centre Georges-Pompidou. Par son
audace, sa volonté de s’imposer, son aptitude à dire non au conformisme, elle s’est imposée parmi ses pairs comme seule
grande chorégraphe femme de l’après-guerre.

UNE CHORÉGRAPHE NOVATRICE
« Votre chorégraphie, jeune fille de lumière, est d’une cruauté et d’une violence inouïes. Je suis très fier et très heureux de votre travail. » Jean Genet, (à propos d’Adame Miroir)
Janine Charrat est aussi une chorégraphe novatrice dont l’influence sur l’explosion de la danse contemporaine en France a été très sous-estimée. Première femme chorégraphe (plus de 50 ballets), Janine Charrat a créé un nouveau langage chorégraphique qui s’appuie souvent sur les grandes œuvres de son temps (Jean Genet, Jean-Paul Sartre, Jean Cocteau...). Fidèle à son image d’enfant-prodige, elle réalise, à 19 ans, sa première chorégraphie, Jeu de Cartes, pour les Ballets des Champs-Élysées. Sur une musique de Stravinsky, les personnages sont les figures d’un jeu de cartes vêtus d’un simple collant blanc. Elle surprend la critique par la construction claire, l’ingéniosité et la tenue dramatique de sa chorégraphie. Tout y est nouveau : sujet, décor, danse.
Son oeuvre est marquée par plusieurs provocations chorégraphiques. Adame Miroir (1948), réalisé en collaboration avec Jean Genet, est dansé uniquement par des hommes. Son ton charnel, transgressif, laisse planer une ambiguïté homosexuelle. Abraxas (1949), oeuvre dont l’argument est tiré de la légende de Faust, a été créé en Allemagne mais n’a jamais été interprété à Paris. Le ballet y est interdit à cause de sa charge érotique. Janine Charrat est la première à explorer des voies reprises des années plus tard par les grands chorégraphes : suspension des danseurs par des élastiques (Les Liens, 1957), danse sur de
la musique concrète... Son inventivité, la « virilité de ses créations » la propulsent au premier plan de la danse contemporaine. Ses créations les
plus emblématiques sont d’ailleurs encore au répertoire de nombreuses compagnies dans le monde.

Les Algues
CHEF D’OEUVRE OUBLIÉ & MINORÉ
« À l’époque, il choqua. Aujourd’hui, il apparaît comme un classique et un chef-d’oeuvre » Maurice Tassart, critique de danse

En 1951, désireuse de s’exprimer librement et d’avoir la direction de ses œuvres, elle fonde sa propre compagnie. Elle y crée ses plus grands succès, dont le ballet Les Algues en 1953, et tourne à travers le monde. C’est un ballet en 4 actes où un jeune homme feint la démence pour se faire interner et retrouver sa bien-aimée, Catherine, devenue folle après leur première étreinte. C’est une plongée dans la folie et la solitude d’une femme, mais aussi une étude des rapports qui existent entre aliénés et ceux qui estiment ne pas l’être. Alors que les années 1950- 1960 affectionnent les personnages féminins fantasmatiques, l’interprétation de Janine Charrat, cheveux lâchés, donne au personnage de Catherine une profondeur psychologique.
Elle est unanimement saluée. Le ballet déchaîne les passions. Une partie de la critique le qualifie de « chef-d’oeuvre », une autre désapprouve l’avant-gardisme. Parmi les innovations dérangeantes, la plus marquante est le recours à des bruitages qui se mêlent à la musique symphonique : machines à écrire ou hurlements des sirènes soulignent les passages dramatiques. À sa sortie, ce ballet ne connaît pas de succès immédiat mais il apparaît rétrospectivement comme une oeuvre pionnière. Par son sujet, Les Algues rencontre certains thèmes de préoccupation de l’époque, comme la solitude dans la société moderne. Laissant une large part à l’interprétation du spectateur et au jeu du danseur, ses ambiguïtés font des Algues une
oeuvre qui aujourd’hui encore intrigue et soulève de nombreux questionnements.